« L’interdépendance des médias est essentielle pour une société vertueuse » – François le Hodey (IPM Group)

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Après le discours de Pascal Chevalier (Reworld Media) lors de Media & Communities, le séminaire célébrant les 15 ans de MediaSpecs, Peter Quaghebeur (CEO de Mediafin) et François le Hodey (CEO d’IPM Group) ont lancé la discussion. Sous la houlette du modérateur Matthias Langenaeker (Strategic Intelligence Lead chez Publicis Groupe), ces deux poids lourds du monde des médias belges ont partagé leurs expériences sur la diversification et les modèles économiques.

Le fil conducteur du débat était de maintenir constamment l’indépendance journalistique en tant qu’entreprise de médias et de ne pas laisser son équipe rédactionnelle être influencée par les souhaits des marketeers et des annonceurs.

Peter Quaghebeur : « J’ai travaillé dans de nombreuses entreprises médiatiques, mais je n’ai jamais vu une aussi grande muraille de Chine entre la publicité et la rédaction que chez Mediafin. L’indépendance journalistique est une valeur nécessaire et sacrée pour les journaux De Tijd et L’Echo. Cependant, les départements de vente et la rédaction doivent travailler ensemble vers le même objectif, à savoir fournir un produit de qualité qui respire la crédibilité journalistique et dans lequel les annonceurs trouvent une scène appropriée pour leurs produits ou services. »

« On ne transige pas sur l’indépendance. L’indépendance rédactionnelle est la garantie de la qualité sur le long terme de nos marques. Investir dans les talents rédactionnels reste donc essentiel », avance François le Hodey. Il est confiant en l’avenir de la presse, car il a la conviction profonde qu’elle est indispensable à la société : « Les démocraties sont nées sur trois principes : la liberté d’expression, le pluralisme et l’indépendance des médias du monde politique. Le besoin d’information sera toujours présent, tout comme le marché des lecteurs. Nous devons nous concentrer sur l’intégrité et la safety de notre contenu pour assurer aux annonceurs que nous sommes les partenaires idéaux pour leurs opérations de branding. »

Peter Quaghebeur propose en outre comme conseils de rester fidèle à son public cible et de rester attentif à ses concurrents. « En tant que marque, restez fidèle à votre ADN. Nous ne devrions pas intégrer une section sportive dans L’Echo dans l’espoir de gagner quelques lecteurs supplémentaires. Tout comme VTM Nieuws ne devrait pas donner une scène à The Masked Singer. Ce n’est pas sérieux et, à long terme, c’est pernicieux pour votre marque. Suivez également ce qui se passe chez la concurrence. Les plateformes L’Echo doivent continuer à offrir une valeur ajoutée par rapport à tous les conseils gratuits sur les affaires et les investissements que l’on trouve sur Internet. »

En plus de trouver un équilibre approprié entre les revenus publicitaires et les revenus du lectorat, il est également important pour les entreprises de médias comme IPM et Mediafin de trouver un équilibre entre les revenus du lectorat papier et numérique.

François le Hodey : « Le print va continuer à descendre lentement, mais il restera significatif. Il y aura toujours des gens qui aiment avoir un produit physique à portée de main à un moment de contact précis le matin pour s’informer. Pour les lecteurs qui veulent être informés toutes les heures, voire toutes les minutes, il y a bien sûr le pôle numérique. Il s’agit d’établir une relation de confiance avec eux aussi et de répondre à leurs besoins. L’avantage du ‘online’ est que l’on peut fragmenter ou segmenter et ainsi développer des sous-communautés. »

Peter Quaghebeur : « En termes de lectorat numérique, Mediafin a toujours été innovant. En Belgique, nous avons été des pionniers en étant la première entreprise de médias à ne plus mettre gratuitement à disposition du contenu en ligne. À l’époque, c’était une décision courageuse de devoir soudainement faire payer les gens pour quelque chose qui a toujours été gratuit, mais avec notre lectorat largement instruit et aisé, c’est bien sûr plus facile que pour une marque d’information grand public. »

« L’année dernière, nous avons même renforcé notre paywall. Et avec un résultat positif : notre nombre d’abonnés numériques continue d’augmenter. Les gens sont prêts à payer si vous créez un bon contenu. Alors qu’avant le Covid-19, nous étions à 55% de revenus publicitaires et 45% de revenus de lecteurs, la tendance est aujourd’hui complètement inversée. »

Le glissement progressif de la presse vers le digital est inévitable, et pour François le Hodey, la transition peut s’opérer en tant que marque. « Les marques de presse quotidiennes sont les plus anciens produits de consommation. Ces marques ont historiquement réussi à se transformer à chaque génération. En passant au digital, elles ont dû faire de l’audio et de la vidéo en plus de l’écrit et sont devenues universelles. La manière dont elles sont perçues dépend des générations. Celles qui ont connu les marques sous forme de journal les vivront comme des marques de presse. Celles qui n’ont pas connu cela les vivront comme des marques digitales. » François le Hodey loue également la résilience de la presse, première touchée par la fracture numérique mais qui parvient néanmoins à rester pertinente, notamment grâce à la polyvalence des rédactions.

Matthias Langenaeker a également lancé le débat sur le thème des podcasts, assurément l’une des tendances de ces dernières années. « Les podcasts sont un canal supplémentaire pour distribuer votre contenu. Aujourd’hui, c’est encore gratuit dans le but d’intéresser le plus grand nombre de personnes possible, mais un jour, cela aussi devra devenir payant », a déclaré Peter Quaghebeur.

Sur les réseaux sociaux, on est encore à la recherche d’un modèle économique viable. « On est sur les réseaux sociaux parce que c’est important pour atteindre les personnes qui ne consomment du contenu que via ces plateformes, et ce même si on ne voit pas de modèle économique pour nous », explique François le Hodey. « Toutefois, il y a la nécessité d’un écosystème. Chaque segment de l’industrie de la communication et des contenus est dépendante de l’autre. Le monde de la publicité, mais aussi la société, seraient grandement appauvris si un des acteurs venait à disparaître. Il faut faire attention aux dysfonctionnements de l’écosystème qui pourraient nous faire perdre irrémédiablement une richesse extraordinaire de création de contenus. »

« Nous devons comprendre que notre interdépendance est essentielle pour faire fonctionner une société vertueuse » – François le Hodey