Prologue – MediaSpecs Summer Interviews : « La publicité crée des tendances, mais pas le besoin » – Yves De Voeght

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Plus besoin de présenter Yves De Voeght, l’Advertiser Personality of The Year 2015 (UBA) et l’expert média qui a fait ses armes chez les plus grands annonceurs comme Unilever, Fortis (maintenant BNP Paribas Fortis) ou encore Coca-Cola. Une carrière remarquable au cours de laquelle il a multiplié les fonctions média, communication et marketing en tous genres. Il y a quelques semaines, Yves De Voeght annonçait son départ de Coca-Cola, après 13 ans de collaboration fructueuse.

L’occasion de revenir sur son parcours, de faire le point sur la situation et de vous offrir un avant-goût de nos MediaSpecs Summer Interviews de cet été. Lançons quelques jalons inspirants, intuitifs, idéals pour s’orienter et porter un regard critique, réfléchi sur le paysage médiatique/publicitaire qui ne cesse d’évoluer.

Une invitation à la créativité

En 2008, Yves De Voeght entrait en fonction chez Coca-Cola, alors 13e annonceur sur le marché belge avec 27 millions d’investissements publicitaires (MDB/Nielsen). Il en garde un bon souvenir, un peu trop lointain même : « J’ai l’impression que c’était il y a 50 ans et pourtant cela ne fait que 13 ans. Les choses ont bien changé… A cette époque, le digital existait mais pas comme aujourd’hui. Je me souviens que quand j’ai commencé, il n’était pas possible de faire de la publicité sur Facebook. Le plus grand partenaire à ce moment c’était Netlog du côté flamand et dans le sud c’était Skyrock. Le DOOH non plus n’existait pas et le print se suffisait à lui-même, sans déclinaison en site web ou en application. L’offre TV aussi était plus restreinte. »

Aujourd’hui, Coca-Cola s’impose comme leader sur le marché, avec 70 millions d’investissements publicitaires (MDB/Nielsen) et multiplie les communications publicitaires. Selon Yves De Voeght, cette croissance s’explique par plusieurs évolutions fondamentales. Il en pointe trois : l’environnement compétitif qui devient de plus en plus challengeant, l’augmentation du budget ainsi que celle du portefeuille de marques. « Tout ceci a rendu l’écosystème Coca-Cola très diversifié. Cela a aussi permis de saisir de nouvelles opportunités, de tester des nouveautés et de mieux équilibrer les aspects court terme et long terme.»

En effet, à côté de l’aspect publicitaire qui génère un effet à court et long terme, Coca-Cola a toujours été précurseur dans le marketing expérientiel dont les effets se font avant tout ressentir à court terme (les effets long terme n’ayant pas été suffisamment documentés). En repensant l’équilibre entre les deux disciplines, sur base de données internes montrant les bienfaits de l’un et de l’autre, les investissements publicitaires ont pu augmenter et se diversifier pour profiter de manière optimale des nouvelles opportunités offertes par les régies et médias.

Yves De Voeght décrit d’ailleurs Coca-Cola comme l’un des rares annonceurs à présenter ses plans annuels à ses partenaires média. L’objectif ? Éveiller la curiosité des partenaires et réfléchir de manière constructive.

« Plus nos business sont interconnectés, plus ils grandissent mutuellement, c’est dans notre intérêt comme dans celui de nos partenaires, les sociétés média. »

Développer une bonne stratégie marketing

Il n’existe pas de solution miracle pour mener une stratégie média à bien. « Le monde idéal n’existe pas, mais on peut essayer de s’en approcher. » Pour l’ancien Media Manager, il faut avant tout miser sur quatre critères – qu’il appelle les 4C– pour bien s’organiser : le contenu, le contexte, le contact et le coût. A cela, il ajoute : « Il n’y a rien de tactique. Une tactique est une manière de décliner une stratégie. Il faut donc avant tout une stratégie. On peut se tourner vers de la nouveauté mais en ayant développé une stratégie de manière à voir à quel besoin, quelle articulation de la stratégie répond cette nouveauté. »

Autre notion importante à bien (re-)définir : le test. Tester implique l’obligation de mesure…encore faut-il savoir ce que l’on veut mesurer. « Chez Coca-Cola, nous étions l’un des premiers en Belgique à utiliser Snapchat : nous ne connaissions pas encore très bien l’application. Nous avons essayé à tâtons mais nous savions que nous voulions nous adresser aux jeunes et que SnapChat devait devenir populaire chez les jeunes. Nous avions une direction. Un test peut miser sur l’inconnu mais il faut savoir où l’on veut aller et savoir où l’on va après en fonction de ce qui s’est passé avec le test. »

En 2016, Coca-Cola Belgique a lancé le filtre Tous Ensemble sur SnapChat pour supporter les Diables Rouges lors de l’Euro.

Une autre façon de regarder aussi sa stratégie de communication est ce que des experts internes avaient encapsulé dans le New Engagement Model, basé sur 4 principes :

1. Social at the heart : avoir un contenu dans lequel le consommateur peut facilement « s’embarquer » et peut facilement partager;

2. OESP : construire son plan de communication en partant de ses propres médias (O=Own) ; définir qui peut ensuite s’emparer du contenu pour lui donner une couche de crédibilité, quitte à perdre une partie du contrôle (E= Earned) ; identifier d’autres marques avec lesquelles on peut s’associer pour enrichir mutuellement les contenus et expériences proposées (S=Shared) et finir par définir les bons touchpoints payants qui d’une part, apporteront ce que les autres ne pourront pas apporter et d’autre part, mettre de l’huile dans les rouages pour que les 3 autres tactiques fonctionnent optimalement (P=Paid);

3. 70-20-10 : mettre le maximum de moyens sur les touchpoints que l’on sait efficaces pour sa marque (70), mais ouvrir la possibilité d’innover soit dans les médias connus (20) soit vers de nouveaux touchpoints (10) avec l’obligation de mesurer de manière à éventuellement faire passer les touchpoints « 10 » vers des « 70 » s’ils ont prouvé leur efficacité;

4. No dead end: ou comment utiliser chaque touchpoint comme une porte d’entrée vers un autre touchpoint.

Mais à quoi sert la communication in fine? « La communication consiste à créer un trajet. Un trajet de ce que les consommateurs pensent, ressentent et font d’une marque aujourd’hui vers ce qu’ils en penseront, ressentiront et feront demain. »

« Communiquer c’est amener quelqu’un d’un point A à un point B. Et pour cela, il faut du reach car une personne qui n’a pas été touchée par une communication ne fera pas le trajet souhaité. »

La publicité peut-elle créer du besoin ? « La publicité crée des tendances et pas le besoin. Nous sommes des animaux sociaux, qui suivent les tendances mais si celle-ci est sans fondation, elle ne dure pas longtemps. La publicité peut influencer le choix vers un produit mais elle ne crée pas le besoin de ce produit. » Il est par ailleurs primordial de ne pas exclusivement miser sur le digital et la data. « Je ne suis pas un partisan du 100% digital », explique Yves De Voeght qui illustre son point de vue au travers d’un exemple éloquent lui venant de son passé chez Unilever : « prenons le cas de la marque Axe, qui avait pour cible les jeunes de 15 à 25 ans. La publicité pour ce produit devait déborder de cette cible. Pourquoi ? Car, tout simplement, le business n’était pas fait par cette cible mais par des hommes plus âgés. Ce n’est pas non plus cette cible qui achetait leur déodorant en magasin, ce sont les parents. Et, enfin, il est aussi très important que les jeunes filles de 15-25 pensent qu’il s’agit d’un bon produit. Par conséquent, juste faire de la data sur les jeunes garçons de 15-25 ans ne devrait pas être suffisant. Il faut créer une couche sociale autour de la marque. »

Bien appréhender la diversité et le paysage médiatique

En ce qui concerne la diversité des médias qui compose le paysage médiatique, Yves De Voeght évoque son passage chez Fortis en tant que Media Manager et External Communication Manager. C’est lorsqu’il était en fonction au sein de cette entreprise qu’il a rencontré le plus de médias. Les campagnes sur lesquelles il travaillait étaient destinées à des publics très variés voire antagonistes : les jeunes, les seniors, les riches, ceux qui ont besoin d’un crédit, les pharmaciens, les eurocrates, les particuliers ou encore les agriculteurs. « Chez Fortis, il y avait tout un travail intellectuel plus important à faire. Par exemple, lorsque nous avons lancé notre campagne sur les agriculteurs, il n’existait pas d’étude explicite sur ce que consomme ce type de public. Il a donc fallu un peu tâtonner pour bien comprendre la cible au-delà des clichés. »

« Chez Coca-Cola, la finalité est commune entre les marques et les groupes cibles moins diversifiés et moins pointus. Il y a certes des besoins et/ou des contextes dans lesquels telle ou telle marque est plus ou moins pertinente. C’est d’ailleurs la raison de l’utilisation diversifiée des médias et de contextes spécifiques pour chaque marque », ajoute Yves De Voeght.

Enfin, l’expert média avertit quant à l’état actuel du paysage média : « J’ai l’impression qu’il y a une pression sur les entreprises et les gens pour être de plus en plus court-termiste. A côté de cela, s’ajoutent la ‘juniorisation’ du marché et le fait que de nombreux talents à haut potentiel se tournent vers d’autres sociétés et non vers la communication.»

« De nos jours, il y a une moins bonne compréhension du marketing. Tout ceci n’aide pas à faire des choix vers des solutions plus long terme et plus qualitatives. »

Suivre une méthode marketing rentable, faire preuve de créativité, innover, se remettre en question, pousser la réflexion, tester, mesurer, etc. On le voit, toutes ces réalités tendent vers un même constat : cerner et comprendre le mieux possible la dynamique du marché média/publicitaire afin de déployer une démarche stratégique adéquate. « Il ne faut pas être obnubilé par les KPI’s, il faut prendre les bonnes décisions. Le seul KPI qui m’intéresse, c’est celui de l’intelligence. Il faut ramener l’intelligence au cœur des discussions », conclut Yves De Voeght.