« La véracité de l’information est importante. » Ça semble évident, mais est-ce vraiment le cas ?

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Cet article est basé sur la conférence donnée par le professeur Bart Pattyn lors de Media & Communities le 28.02.2023 à l’UGC Mechelen, organisée par MediaSpecs.

Prenez toutes les actualités, tous les reportages, toutes les informations, ou quel que soit le nom que vous voulez leur donner, et posez-vous la question suivante : tout ce que nous lisons, voyons, entendons et recevons est-il réellement véridique ? Attention, nous ne parlons pas seulement de fake news flagrantes. Les fake news, cela va sans dire, ne sont pas véridiques. Mais à quoi faisons-nous référence en dehors des fake news ?

Pour reprendre les termes du philosophe moraliste Bart Pattyn (KU Leuven) : il s’agit de toute information qui n’est pas partagée uniquement pour elle-même, mais dans laquelle un intérêt privé joue également un rôle. Un intérêt privé étant :

  • de nature commerciale (par exemple : « cet article de journal est informatif, mais à la fin il veut aussi me vendre quelque chose d’un sponsor ou d’un annonceur de ce journal »).
  • de nature politique (par exemple : « il s’agit de la couverture d’un événement digne d’intérêt, mais entre les lignes, un point de vue politique est subtilement – ou pas tant que ça – mis en avant, et m’encourage à voter pour telle ou telle figure politique »).

Bien d’autres intérêts peuvent entrer en jeu, mais ce sont les deux plus importants. Parlons maintenant principalement du premier dans la communauté médiatique.

« Les stratégies médiatiques trop axées sur le marketing ont affaibli la résistance du public au non-sens », observe Bart Pattyn.

« Nous devons prendre la véracité des faits beaucoup plus au sérieux que les critiques ne le font croire » – Bart Pattyn

En termes très simples, la pierre angulaire de la société est l’opinion publique, la pensée collective. C’est à partir de là que nous, en tant que société, prenons des décisions sur la direction que nous voulons prendre en tant qu’état, sur les positions que nous prenons politiquement et sur la manière dont nous nous positionnons vis-à-vis des différents groupes de la société. En termes encore plus simples, si cette pierre angulaire est de travers, des failles et des craquelures apparaissent dans la société. Les médias ont largement la main sur les potentiels déséquilibrages de cette pierre angulaire et la manière dont ils surviennent. Bien sûr, précise Bart Pattyn, il faut que les gens aient envie de lire ou d’écouter par eux-mêmes. Tout n’est pas entre les mains des médias. Par exemple, explique-t-il : « Se concentrer sur une offre faites de communautés à l’atmosphère insouciante où tout le monde est heureux est plus intéressant d’un point de vue commercial. Et parfois, il est plus intéressant de cultiver un rapport où l’attitude est ‘We are right, they are wrong’. »

« Une première observation concerne le fait que nous sommes habitué·es à faire la distinction entre

  • ce que quelqu’un connaît personnellement
  • et ce qui est connu. »

Les premières sont des « suppositions privées », ou « ses propres croyances personnelles » et « ce que quelqu’un détermine en tant qu’individu » ; les secondes sont des « suppositions publiques », ou « ce qui est communément établi » et « ce qui, au sein d’un groupe, est supposé comme étant une croyance partagée », selon Bart Pattyn. L’accent est mis sur « supposer », car nous ne pouvons évidemment pas savoir ce que quelqu’un d’autre sait. Il est tout à fait opportun, explique Bart Pattyn, que le mot « publier » fasse référence à l’action de « rendre public » ce qu’initialement seul un nombre limité de personnes sait. Et c’est ainsi qu’on en arrive aux médias.

« La fonction centrale des médias est de rendre publiques des suppositions privées » – Bart Pattyn

« Rendre publiques ou publier les convictions et présuppositions personnelles signifie littéralement que quelque chose que seul un nombre limité de personnes présume devient maintenant quelque chose qui peut être présumé publiquement. » Bart Pattyn poursuit : « Ce que vous apportez dans le groupe, ce que vous communiquez, ce que vous mettez en lumière, ce qui est dans le journal, ce qui est couvert par les actualités, est quelque chose qu’un public privé s’attend à voir désormais communément admis. »

Les médias sélectionnent les événements à relater, les médias sélectionnent les termes et le ton dans lesquels ils les relatent, les médias contextualisent et vérifient (préférablement) ce qu’ils rapportent, les médias décident d’accorder beaucoup ou peu d’attention à un article, les médias choisissent le titre à utiliser pour un article, les médias sélectionnent les informations (partielles) sur lesquelles ils se concentrent dans un article, les médias sélectionnent les personnes à qui ils laissent la parole dans l’article, les médias, les médias, les médias….

« Ce que, dans un groupe, nous supposons appartenir au sens commun peut prendre des formes très diverses : il peut s’agir de convictions et de croyances, mais aussi d’une façon de voir le monde, comment il est perçu ou encadré, comment on évalue un événement, si on le considère comme important ou précieux, ou si on l’évite à tout prix. » En bref, « la compréhension mutuelle, l’ethos et la mentalité ». Et pas seulement d’un état dans son ensemble, mais de tous les groupes divers possibles en son sein.

« Un média représente l’organe d’un groupe. De quels groupes ? Il peut s’agir de toutes sortes de groupes, voire de plusieurs en même temps » – Bart Pattyn

Bien sûr, les médias doivent aussi pouvoir continuer à exister, et veulent aussi parvenir au citoyen (qu’il soit lecteur, auditeur ou autre type d’utilisateur). Toutes sortes de changements technologiques, commerciaux, liés au marché et à la vente au fil du temps ont une incidence sur la couverture de l’actualité. Un titre de presse n’est pas l’autre. Le même événement peut être publié de manière très différente. Chaque fois, cela donne un cadre différent à l’information. Le même événement peut être contextualisé différemment. Le même événement peut être encadré différemment.

Chacune de ces tendances est compréhensible, mais est totalement détachée de son impact sur la pierre angulaire de la société dont elle fait partie. Qu’un rédacteur en chef soit conscient ou non de cet impact, les médias forment cette pierre angulaire et influencent sa rotation.

La liberté de la presse est un bien sacré. Bart Pattyn reprend les mots de Rousseau : « Paradoxalement, nous ne pouvons garantir les droits des individus sans pression sociale. C’est parce que nous voulons ensemble que la liberté individuelle soit respectée que la liberté de l’individu peut être garantie. » La pierre angulaire, en tant que conscience collective, affecte les individus et leurs droits individuels. La responsabilité sociale des rédacteurs et des médias est grande.

« En ignorant complètement [dans les entreprises médiatiques et chez les rédacteurs] ce qui est d’intérêt public, et en faisant fi de toute convenance sociale et de toute pression morale, on ne vaincra pas l’intolérance [dans la société] » – Bart Pattyn