« Il s’est passé plus de choses dans la presse entre 2010 et 2022 qu’entre Gutenberg et 2010 » – Christophe Berti (Le Soir)

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Ce jeudi 19 mai, C² organisait un débat sur la concentration des médias en Belgique francophone, animé par deux personnalités majeures de notre paysage médiatique : Christophe Berti, rédacteur en chef du Soir, et Martin Buxant, cofondateur de la chaîne d’informations en continu LN24.

Ces derniers mois, le processus de concentration dans le paysage médiatique belge francophone s’est considérablement accéléré. L’Avenir et Moustique ont été absorbés par IPM, suivis par LN24. Ciné Télé Revue a été racheté par Rossel, qui s’est ensuite allié à DPG Media pour acquérir RTL Belgium. Il ne reste à présent plus que deux acteurs majeurs dans le monde des médias en Belgique francophone.

Des petits acteurs indépendants (Médor, Kiosque, Tchak…) subsistent toujours, parfois avec peine, comme on a pu le constater avec Wilfried. C’est d’ailleurs sur un message de son fondateur, François Brabant, que s’ouvre le débat : « L’extrême concentration des médias en Belgique francophone représente clairement une menace pour la santé de notre démocratie. »

« La défense de la démocratie, c’est quelque chose qu’on doit surveiller tous les jours. Ce n’est pas acquis à vie » – Christophe Berti (Le Soir)

Cette menace pourrait être contrée par une série de mécanismes, dont un « paywall entre rédaction et actionnaires ». En Belgique, les groupes restent des véritables éditeurs de presse qui ne servent pas la volonté personnelle des actionnaires. « Je n’ai jamais eu, en bientôt dix ans à la tête de la rédaction, Bernard Marchant qui m’a intimé l’ordre de mettre un titre, de changer un article, de faire plaisir à un homme politique », déclare Christophe Berti. Martin Buxant souligne également l’importance de ces synergies entre médias pour contrer les big tech : « LN24 est parti en stand-alone, et c’est compliqué. C’est très cher. Nous avons eu la chance d’être repris par IPM. »

« Ce qui compte pour la liberté de la presse, c’est le contrat éditorial » – Christophe Berti (Le Soir)

Pour Christophe Berti comme pour Martin Buxant, chaque média peut conserver son identité tout en profitant des synergies permises par un grand groupe. Ainsi, les experts internationaux de La Libre peuvent parler de la guerre en Ukraine sur tous les plateaux d’IPM. La crainte d’un monde de l’information avec de moins en moins de journalistes est vite écartée. Ni Martin Buxant, ni Christophe Berti ne comptent pas engager moins, que du contraire.

« C’est nous qui avons du mal à trouver des journalistes. Le changement de paradigme fait que les jeunes journalistes privilégient la qualité de vie » – Martin Buxant (LN24)

Si des synergies journalistiques et de contenu sont à prévoir, chaque média conserve néanmoins ses sujets et son audience. Le Soir et son lectorat majoritairement universitaire sont complémentaires avec Sud Presse, et LN24 veut quitter le modèle hybride pour aller vers du full-vidéo mais « n’a pas vocation d’être TV IPM ». Rien de cela n’est neuf : la plupart des médias collaborent déjà, par exemple, pour le sport, qui est un des départements les plus coûteux dans une rédaction. Des synergies donc, mais cadrées.

« Le nœud du débat, c’est la capacité des médias locaux à créer de l’inventaire vidéo pour accueillir des publicités digitales » – Christophe Berti (Le Soir)

Les synergies publicitaires sont également un des avantages évident de la concentration des médias, tant pour pouvoir faire face à la mainmise des GAFA sur le paysage médiatique que pour se préparer à un avenir financier incertain. La presse, « c’est d’abord une situation économique où le marché publicitaire est central ».

« Il s’est passé plus de choses dans la presse entre 2010 et 2022 qu’entre Gutenberg et 2010 », déclare Christophe Berti. Les rédactions ont été bouleversées par le web gratuit dans les années 2000, puis par l’apparition du paid native content comme business model dominant. Qui sait ce qu’il en sera dans 5 ans ? Pour Le Soir, « l’objectif est de délinéariser nos produits » afin d’offrir une info en continu plus adaptée au digital. On développe des nouveaux formats comme le podcast qui ne sont actuellement pas rentables, mais qui le seront peut-être dans le futur.

« On est tous en train de chercher le business model. Certains comme DPG sont plus avancés mais personne ne l’a encore vraiment trouvé » – Martin Buxant (LN24)

Le mot de la fin est l’adaptabilité : « Si demain l’information se diffuse par pigeon voyageur, je deviens colombophile ! », s’exclame Christophe Berti en affirmant devoir aller chercher les lecteur·rices où ils et elles se trouvent. Il souligne également l’importance d’une vision transversale dans les rédactions : « Je pourrais tenir deux heures sur la transversalité et la sortie des silos, qui est sans doute encore plus importante que la concentration de la presse. » La pandémie a mis en lumière l’obsolescence de la catégorisation actuelle des sujets de presse. Ce qui est politique n’est pas que politique, ce qui est sociétal n’est pas que sociétal, et ainsi de suite. « On essaie d’avoir une vision des choses beaucoup plus transversale. On travaille avec la direction pour, si pas supprimer les services, au moins les faire évoluer. »