MAGnify 2023 : Fragmentation des consommations, confiance en les médias, créativité publicitaire et IA

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« This is a morning for magazine lovers! », c’est avec ces mots que Veerle Neyens (Roularta) à ouvert MAGnify 2023 au nom de WE MEDIA. Une matinée riche, remplie d’insights médiatiques délivrés par des intervenant·es venus de l’international, ponctuée des réalisations filmographiques lauréates des StuMPA (Student Magazine Print Award).

News consumers journey in 2023 – Nic Newman

Venu tout droit du Royaume-Uni, Nic Newman, Research Associate pour le Reuters Institute for the Study of Journalism, a ouvert les festivités avec une série d’insights sur la consommation de médias digitaux tirés d’un sondage YouGov à plus de 93.000 répondant·es. Il en a dégagé des challenges et des opportunités pour l’industrie.

Son premier constat n’est pas surprenant : les médias traditionnels sont en déclin, d’autant plus chez les jeunes générations. « Toute personne sous l’âge de 45 ans consomme à présent majoritairement l’actualité en digital », explique Nic Newman, « et plus les gens sont jeunes, plus ils et elles ont tendance à consulter l’actualité depuis les réseaux sociaux ». Naturellement, ce glissement s’accompagne d’un changement de support, qui à son tour chamboule les modèles économiques : « Afficher des publicités à côté du contenu fonctionnait très bien en print, un peu moins bien avec l’avènement des ordinateurs, et depuis l’arrivée des smartphones, le rapport entre publicité et contenu a totalement changé. Il y a seulement dix ans, tout le monde lisait le même journal dans le métro de Londres le matin. Actuellement, avec les smartphones, on observe une fragmentation : chacun·e personnalise sa consommation. Les médias ont maintenant beaucoup plus de compétition dans la course à l’attention. » Il faut donc s’adapter aux audiences qui se trouvent sur les réseaux sociaux – et c’est là le troisième challenge de Nic Newman.

Les anciennes plateformes de réseaux sociaux telles que Facebook et Twitter sont en déclin face à celles qui ont une approche centrée sur la vidéo et les influenceurs (YouTube, Instagram, TikTok), et les médias d’information traditionnels sont justement moins présents sur ces dernières. La perte d’attention représente également un défi majeur pour l’industrie. Certaines personnes développent des stratégies d’évitement sélectif de l’actualité, en raison du contexte de crises (covid, inflation) et de l’abondance d’articles. « Les personnes qui évitent de consulter l’actualité sont en général plus intéressées par des actualités positives que par des sujets politiques ou plus négatifs, qui leur donnent un sentiment d’impuissance. La tendance est inversée chez les personnes qui n’évitent pas de consulter l’actualité. » Dans tout cela, les médias doivent également faire face à des questions de financement : les abonnements sont souvent les premiers à passer à la trappe en contexte de crise économique. « La première partie de l’exposé est plutôt pessimiste, mais la seconde apporte des solutions », nous rassure Nic Newman.

Les médias peuvent subsister sur un modèle de financement par abonnement du lectorat, tant qu’ils investissent dans du contenu de haute qualité – comme le prouve le succès du New York Times. « Voici les tendances qui fonctionnent : ajoutez de la valeur à votre abonnement, établissez-vous dans un domaine de niche, et regroupez vos offres », énonce Nic Newman. Un second levier d’action est celui de la confiance : « Dans un monde d’information peu fiable, les médias traditionnels apportent de la certitude. En parallèle, les internautes perdent confiance en les réseaux sociaux et leurs algorithmes. C’est là une opportunité pour les médias de créer du contenu de qualité venant d’une source fiable, en veillant à utiliser les codes des réseaux sociaux. » Pour Nic Newman, les investissements doivent être placés dans la vidéo pour créer du contenu sur les réseaux sociaux, l’audio pour des podcasts et les newsletters des connexions directes par mail. Dernièrement, l’IA offre « une opportunité sans précédent pour générer du contenu en quelques secondes, gagner en temps et en efficacité, pour pouvoir se concentrer sur la qualité ». Elle amène avec elle une vague de scepticisme, car elle peut déjà créer des deepfake (des images créées par synthèse) très convaincantes : « C’est pour cela que la confiance est capitale. Les médias doivent tirer leur épingle du jeu en se montrant comme des instances plus fiables. Et les annonceurs ne s’y tromperont pas non plus. »

How to succeed with Native Advertising in 2023 – Jesper Laursen

Le second intervenant était Jesper Laursen, Fondateur de The Native Advertising Institute, venu du Danemark pour partager son expertise sur un marché qui devrait atteindre une valeur de 189 milliards USD d’ici fin 2028 selon les estimations. Il nous a ramené en dans le temps, en 1994, pour nous montrer la première publicité cliquable, qui a atteint un taux de clic stellaire de 44%. Aujourd’hui, les valeurs et le contexte sont bien différents : un tel taux de clic est inimaginable, les bots qui cliquent sur les bannières sont légion, les bloqueurs de publicité gagent en popularité et Google tente de garder les internautes sur sa plateforme plutôt que de les renvoyer vers d’autres sites. Autant de raisons qui rendent l’impact réel humain d’une campagne digitale difficile à déterminer.

Selon Jesper Laursen, c’est là le signe que l’industrie de la publicité digitale doit changer de stratégie, et pour lui la solution se trouve dans les publicités natives. « Il devient beaucoup plus complexe d’utiliser Google pour générer du trafic et des leads. Cela veut dire que les annonceurs vont à nouveau se tourner vers les médias traditionnels, car ils fonctionnent toujours comme avant. » Jesper voit en la publicité native le meilleur des trois mondes : « Elle se trouve au croisement des intérêts de la marque, de l’éditeur et de l’audience. Les audiences recherchent des informations qualitatives et pertinentes, les marques offrent ces informations et les éditeurs possèdent tant l’audience que l’expertise pour délivrer un message. »

« Le plus grand challenge est de convaincre les annonceurs de raconter des vraies histoires. Les annonceurs doivent se fier à l’expertise en storytelling de l’éditeur et ne pas mettre la marque au centre du récit. Comme le dit Mary Gail Pezzimenti du Wahsington Post, c’est l’équivalent d’arriver à une fête, puis de monter sur la table pour se présenter… On ne sera pas invité une deuxième fois ! » Les campagnes natives les plus efficaces font passer le message de la marque subtilement et font du produit le héros de l’histoire.

L’IA offre également un grand potentiel en termes de scalability. Avec des IA comme HeyGen, qui traduit automatiquement des vidéos en adaptant le mouvement des lèvres, le coût de diffusion des campagnes à l’internationale pourraient être drastiquement réduit et être réinvesti dans la créativité. « L’essence du natif est de ressembler au contenu d’une plateforme spécifique et de faire ressentir les mêmes émotions. Cela rend les publicités difficilement adaptables à d’autres environnements. Mais l’IA pourrait régler ce problème. »

Creativity is Business – Monique Kim-Gallas & Maryline Guillaume

Un duo français de chez Kantar, composé de Monique Kim-Gallas, Client Development Director for the Brand Guidance, Media & Creative et Maryline Guillaume, Knowlegde Director, a fait l’éloge de la créativité publicitaire et de son importance économique. Elles nous ont présenté une sélection de campagnes publicitaires primées, tant par les cérémonies du monde médiatique que par Kantar, qui utilise une approche data-driven pour mesurer l’efficacité des campagnes et déterminer les critères qui font une marque forte. Pour noter une campagne, Kantar la présente à un panel de consommateur·rices, puis analyse les résultats en les comparant aux autres campagnes dans le même pays se trouvant dans sa base de données. Et c’est un système qui marche ! « 97% des campagnes ayant remporté des prix aux cérémonies sont dans le top 30 de notre base de données, que ce soit en termes d’impact média, commercial ou de marque. »

« Les marques les plus fortes sont celles qui parviennent à créer une connexion émotionnelle puissante avec leurs audiences. Ces mêmes marques récupèrent également beaucoup plus vite après des crises. » Selon les chiffres de Kantar, les campagnes publicitaires qui font preuve d’une haute qualité créative génèrent 4 fois plus de profit que les campagnes classiques. « La qualité créative est le second facteur contribuant à la profitabilité, mais elle est souvent sous-évaluée par les marketers. »

« Nous avons des preuves fiables que la créativité fonctionne, et aussi dans le print. Toutefois, la publicité print offre des opportunités spécifiques, mais a aussi ses propres challenges », explique Maryline Guillaume. « Pour être efficaces, elles doivent remplir quatre étapes essentielles : attirer l’attention du consommateur, l’empêcher de tourner la page, éveiller l’intérêt pour qu’il continue à lire, et lui laisser un souvenir mémorable de la marque. Le tout en une poignée de secondes. » C’est le cas, par exemple, de la campagne au Royaume-Uni pour Colgate « Smile always finds a way », qui représentait des personnes portant le masque, mais dont le sourire était clairement visible. En jouant sur des visuels positifs associés au symbole d’une période difficile (le masque), la marque a créé un espace pour son message : « Colgate prend soin de votre sourire ».

Les expertes Kantar ont terminé leur présentation par 6 règles d’or à appliquer pour une publicité print percutante :

  1. Accrochez le lecteur
  2. Liez clairement votre visuel à votre marque
  3. Faites passer un message pertinent
  4. Restez dans la simplicité
  5. Soyez frais et original
  6. Soyez cohérent avec vos autres campagnes

C’est ainsi, selon Kantar, qu’on réalise tout le potentiel de la créativité dans ses campagnes pour avoir un impact économique maximal.

Table ronde sur l’intelligence artificielle

Pour clôturer la matinée, Bart Lombaerts, Head of Content chez Spyke, a modéré une rencontre autour du sujet brûlant, dans les médias et dans la société, qu’est l’intelligence artificielle. Il était pour cela accompagné de 4 invité·es, chacun·e avec une différente approche et utilisation de l’IA.

« La recherche dans l’IA existe déjà depuis 60 ans mais, grâce à des nouveaux outils permettant plus de puissance de calcul, les dernières années ont montré de grandes évolutions dans la technologie », explique Wouter Vandenameele, Chief Digital Officer chez Wavemaker. « J’ai été diplômé de mon master en IA en 2000, qui était une année charnière pour la technologie », ajoute Florent Diverchy, Marketing Intelligence Manager chez Produpress. « À l’époque, l’IA ne faisait que répéter l’avis d’experts en suivant une série de règles qu’on lui avait attribuées. En 2000, on a commencé à se baser sur un modèle statistique – c’est-à-dire que la majorité a toujours raison. Cela permet de calculer plus vite, mais cela ne garantit pas que les réponses soient correctes et il est difficile de trouver la source de l’erreur. L’IA générative décuple ce problème en créant du contenu, ce qui résulte en une perte de l’explicativité du processus et plus d’erreurs potentielles. »

« L’IA représente un gain de temps de 50% dans la création de contenu », estime Inge Logghe, Marketing Manager chez Liantis. « C’est un outil formidable pour générer des articles, résumer et même rédiger dans notre propre style. » Florent Diverchy a une vision légèrement différente : « Le journaliste a trois grosses tâches : la recherche, la rédaction et la post-production. Les deux premières sont difficilement automatisables (une approche statistique qui donne raison à la majorité, c’est l’inverse de ce qu’on veut dans le journalisme). Par contre, un gros gain de temps est possible pour la troisième en termes de traduction, montage, etc. » Wouter Vandenameele voit deux possibilités grâce à l’IA : « Soit je gagne du temps, soit j’obtiens des meilleurs résultats. Et je préfère la seconde option. Même si cela représente un surcoût pour les annonceurs, je pense que ça vaut la peine d’aller plus loin, tout en restant dans la transparence évidemment. »

Pour Marie-Laure Cliquennois, Creative Lead chez Secondfloor, ChatGPT est plutôt l’équivalent d’un bon stagiaire. « Lorsque je fais de la conception publicitaire et de la réalisation, ChatGPT est une des personnes parmi d’autres dans un brainstorm. Il sort les premières idées moins originales et plus basiques sur lesquelles ont peut se poser pour aller plus loin. L’IA est aussi très pratique pour réaliser des layouts et des images destinées aux présentations pour les clients. »

Au sujet du copyright, Florent Diverchy explique : « Une loi est en cours de création à l’Union Européenne. Si elle suit la même chronologie que le RGPD, elle devrait être appliquée en Belgique en juin 2025. Mais qui sait si cette loi sera suffisamment forte pour réguler l’IA, qui aura évolué entre temps ? Pour moi, une action locale est nécessaire. » Inge Logghe comme Wouter Vandenameele s’accordent pour dire qu’un cadre légal serait le bienvenu : « Il est important pour nous d’avoir plus de clarté sur le sujet. Par exemple, est-il acceptable de réécrire un article en utilisant ChatGPT ? Des récentes affaires comme le New York Times qui a interdit à ChatGPT d’utiliser ses contenus, ou la grèves des scénaristes et des acteurs à Hollywood démontrent l’importance de légiférer. »

« Le créatif aura toujours une relation amour-haine avec l’IA », explique Marie-Laure Cliquennois. « De mon point de vue de Directrice de Création, ChatGPT est bon élève, mais il n’est pas dans l’excellence créative. J’ai hâte de voir les campagnes présentées à Cannes Lions l’année prochaine pour voir qui aura utilisé l’IA et comment. Mais je ne sais pas si les agences oseront dire à quel point elles ont été aidées. »

Florent Diverchy tient également à calmer un peu le jeu : « On est partis sur une folie AI cette année. Ça va retomber, puis se stabiliser à un plateau qui sera déterminé par ce que veut le consommateur. Utiliser l’IA en s’éloignant du consommateur ne fera que nuire à la différenciation de marque. » Et Bart Lombaerts de conclure sur une citation (peu) rassurante : « Il y a des chances que vous ne soyez pas remplacé par un robot, mais par quelqu’un qui sait utiliser un robot. »