« Pourquoi la véracité des informations est-elle importante ? », par Bart Pattyn, philosophe moral, sur Radio 1

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La réalité est malléable. Nous sommes tous·tes adeptes d’expressions telles que « Je le croirai quand je le verrai » et « Je l’ai vu de mes propres yeux », qui attribuent une grande autorité à notre propre perception, et en particulier à notre sens visuel. Si je l’ai vu, alors c’est vrai. Beaucoup moins fiable est le « J’ai entendu dire que », qui fait référence à une représentation des faits par une autre personne, qui nous apprend littéralement par du bouche-à-oreille ce que nous « découvrons » à ce moment-là, mais ne pouvons évidemment pas « savoir » pour nous-mêmes ce qui s’est produit.

Mais quelle est la fiabilité de nos propres sens, de notre perception de première main, à une époque où la technologie et les faits sont manipulables à l’extrême ? De Wereld van Sofie sur Radio 1 a reçu l’éthicien et philosophe moral Bart Pattyn (KU Leuven). Il y a parlé des « fake news » et de leur impact sur la façon dont nous expérimentons notre réalité. Les fake news façonnent-elles notre vision du monde ? Une réflexion intéressante pour notre communauté médiatique.

Sofie Lemaire : Toutes ces fake news, sont-elles néfastes pour notre société ?

Bart Pattyn : « Cela va de soi. On pourrait retourner la question “Est-ce néfaste ?” et demander “Pourquoi est-il important d’avoir des informations véridiques ?” D’une part, c’est important pour que nos opinions individuelles soient correctes. Mais il est également très important de savoir mutuellement que les informations que nous partageons sont de bonne qualité, et cet aspect est probablement encore plus capital. Lorsque des accords sont conclus dans une société, lorsque les gens réfléchissent aux mesures à prendre, nous revenons en fait toujours aux connaissances communes que nous sommes censé·es posséder. »

« À partir du moment où ce type d’information n’est plus basé sur des visions véridiques, à partir du moment où il n’y a plus réellement d’unanimité à ce niveau, il devient alors beaucoup plus difficile de prendre des décisions de manière conjointe. »

Sofie Lemaire : Les journalistes sont de plus en plus critiqué·es, la science est remise en question parce qu’on semble trouver des versions « alternatives » des faits (alternative facts)… comme si nous perdions nos certitudes une par une.

Bart Pattyn : « Il est important de faire une distinction dans les personnes attirées par ces fake news. Suivre l’actualité, c’est essayer de trouver ce qui intéresse le groupe auquel on s’identifie. Les gens veulent savoir ce qui se passe dans l’opinion publique du groupe auquel iels s’identifient. Si cette identification est celle de la société officielle, alors iels auront aussi tendance à obtenir leurs informations auprès du diffuseur public officiel, auprès des services d’information qui ont une certaine autorité. »

« À partir du moment où des personnes se méfient de la société officielle, parce qu’elles ont le sentiment de ne pas être suffisamment reconnues par cette société officielle, alors elles seront plus enclines à tâter le terrain dans des sous-cultures. Et la propagation des théories du complot, des fake news ou de la désinformation est souvent plus importante dans ces milieux. »

« Mais je doute réellement que le citoyen moyen tout court ait perdu ses repères. Il existe encore un programme comme celui-ci (De Wereld van Sofie, ndlr.), beaucoup de journaux connus, un journalisme très sérieux, et les gens qui veulent s’informer savent où s’adresser. »

Écoutez l’intégralité de l’interview de Bart Pattyn dans De Wereld van Sofie sur le site de Radio 1.

Comme l’indique clairement Bart Pattyn, la véracité des informations est importante. Nous l’utilisons pour construire un tissu social que nous utilisons ensuite pour dessiner un filet sain autour de toutes les vérités et informations que nous considérons, en tant que société, comme une base naturelle sur laquelle nous pouvons construire davantage. Cependant, si nous ne stimulons pas tous ce même tissu, ne tissons pas ce même filet et ne brodons pas sur cette même base, notre société risque de vaciller. Une sous-culture sous la base officielle peut la faire s’effriter.

C’est à cet égard que les médias doivent prendre leurs responsabilités, vérifier consciemment et protéger minutieusement. Chaque média, qu’il s’agisse d’un magazine B2C, d’un magazine professionnel, d’un site web d’informations pour les jeunes, d’un programme satirique, d’une émission de radio, d’un documentaire à la télévision, d’un magazine local livré au domicile de nos concitoyens, des journaux… En somme, tous les porteurs et diffuseurs d’informations forment et nourrissent une communauté, une communauté qui se déplace autour des thèmes qu’ils choisissent. Les médias ont une responsabilité envers ce groupe social, une responsabilité d’afficher et de présenter correctement le tissu social. Si ce n’est pas le cas, nous risquons de perdre notre esprit communautaire et de voir nos communautés médiatiques se désagréger.