
L’époque où les éditeurs pouvaient compter sur les ventes en kiosque comme principal pilier de leur modèle économique est révolue depuis de nombreuses années. Cela est dû en partie à l’évolution des habitudes de lecture et à la diminution du nombre de points de vente. Quel rôle jouent encore les ventes en kiosque ?
Si l’on se réfère aux chiffres de la dernière enquête sur la presse belge du CIM publiée en novembre 2024, 94 % des Belges consultent au moins une marque de presse par mois. Plus de 72 % consomment une marque magazine hebdomadaire chaque semaine ou une marque de magazine mensuel chaque mois. Toujours selon le CIM, la lecture multicanal est aujourd’hui la norme : 53 % des lecteurs la pratiquent et consultent les marques de presse via différents supports papier et/ou numériques.
Disponibilité physique
La part exacte du print dans cette consommation média multiforme est encore difficile à déterminer : depuis plusieurs années, le CIM ne donne que des chiffres sur les répliques de l’imprimé et du numérique et des chiffres totaux de la marque. Même dans les déclarations sur l’honneur – quand ils sont disponibles – il n’est pas simple d’identifier le nombre exact de numéros vendus séparément. Quoi qu’il en soit, les recherches menées par le VRM (Vlaamse Regulator voor Media) montrent que la diffusion des plus grands titres de magazines du pays est en baisse depuis plusieurs années.
« Les ventes en kiosque sont en partie lésées par ce que Byron Sharp a appelé la « disponibilité physique » », a déclaré Bernard Cools, Chief Intelligence Officer chez Space et président du comité technique de la presse, spécialiste par excellence du CIM. « Selon les derniers rapports annuels de WE MEDIA, le nombre de points de vente a diminué d’un tiers depuis 2007. Il en reste environ 4 000 et le déclin devrait se poursuivre. »
Cette évolution a tout à voir avec les faibles marges des kiosques/libraires et les ventes toujours en baisse de versions print, une tendance qui découle de l’évolution de la consommation des médias, qui devient de plus en plus numérique dans la presse magazine comme dans les autres médias.
Conséquence : les recettes provenant de cette partie du marché des lecteurs diminuent. Pour faire face à cette évolution, les éditeurs cherchent des alternatives aux points de vente physiques traditionnels. « Par exemple, on assiste à des expériences visant à proposer des magazines dans d’autres types de magasins que les kiosques à journaux traditionnels », explique Bernard Cools. « Des supermarchés aux magasins de mode, en passant par les magasins de décoration, les épiceries fines et les magasins de sport. À cet égard, le marketing a un rôle stimulant à jouer pour faire des magazines un produit d’impulsion, mais il n’y a pas de formule magique pour cela et l’offre reste limitée pour l’instant. »
D’autre part, des initiatives voient régulièrement le jour où des éditeurs (généralement plus petits) proposent leurs versions imprimées à la vente en ligne et à l’impression (à la demande ou non), mais ces tentatives peinent toujours à connaître un succès commercial et doivent souvent abandonner au bout de quelques années. C’est ce qui est arrivé, par exemple, au magazine lifestyle indépendant Charlie Magazine, qui a cessé ses activités en 2019.
Abonnements numériques
Dans le même temps, de nombreux éditeurs se concentrent sur le recrutement de nouveaux abonnés (prospection) et la fidélisation des abonnés existants (rétention), souvent avec des résultats. « D’une manière générale, le ratio dans la presse magazine est aujourd’hui de 45 % pour les abonnements et de 55 % pour les ventes en kiosque », déclare Bernard Cools. Bien que cette proportion varie considérablement d’un éditeur à l’autre. En soi, une part élevée d’abonnements est une bonne chose, car elle rend les revenus provenant du marché des lecteurs beaucoup plus prévisibles
Pour étoffer leur base d’abonnés, la plupart des éditeurs utilisent plusieurs outils qui ont fait leurs preuves, allant de promotions temporaires et d’avantages ponctuels pour les lecteurs à des actions de fidélisation classiques. Parallèlement, un certain nombre d’acteurs ont également développé des solutions plus structurelles, notamment en ce qui concerne les abonnements numériques. Toutefois, il s’agit principalement des plus grands acteurs du pays qui développent des applications pour donner accès à l’ensemble de leur portefeuille en échange d’un abonnement mensuel.
Les efforts de numérisation visant à fusionner le contenu imprimé traditionnel et le contenu numérique en un ensemble attrayant qui combine le meilleur des deux mondes, ne peuvent que susciter l’intérêt des lecteurs en ligne. « Par exemple, La Presse au Québec a tenté de transposer l’expérience de l’imprimé au numérique, via une mise en page optimisée pour les tablettes qui se rapproche de l’expérience de l’imprimé », explique Bernard Cools. « Cela crée une forme de quiétude que les lecteurs d’imprimés recherchent, en ne fournissant pas un contenu illimité : sur l’internet, vous continuez à défiler, sur le papier, il y a une fin, ce qui renforce le sentiment de contrôle. »
Multicanal
La clé du succès sur le marché des lecteurs semble résider dans la combinaison de stratégies multiples dans un cocktail équilibré de canaux médiatiques personnalisés, où les différents supports se renforcent mutuellement.
Le mensuel belge indépendant Motorrijder l’a bien compris. « Notre base d’abonnés est très stable et représente environ la moitié de nos lecteurs », explique Stefaan Buyze, propriétaire et éditeur du magazine, qui existe depuis plus de 45 ans. « Par ailleurs, nous sommes toujours disponibles dans les librairies via AMP, mais elles sont de moins en moins nombreuses, de sorte que les ventes individuelles via ces points de contact diminuent. Pour contrer cette tendance, nous sommes passés d’un produit purement imprimé à un média multidisciplinaire. »
Dans ce modèle polyvalent de Motorrijder, les numéros spéciaux thématiques et très épais jouent un rôle particulier. « Nous les publions en plus de nos numéros réguliers. Ils sont légèrement plus chers et nous demandons de les commander à l’avance », explique l’éditeur. « Après la publication, nous les envoyons par la poste. Si j’ajoute les ventes de ces hors-séries à notre distribution payante, nos chiffres de vente restent à peu près constants. »
Outre ses magazines payants, Motorrijder mise également sur d’autres canaux pour accroître la notoriété de sa marque et transformer les utilisateurs en lecteurs. Par exemple, la marque gère un site web gratuit avec une boutique en ligne et est active sur les médias sociaux. « Nous gérons également le magazine néerlandais Kickstart, qui s’accompagne d’une chaîne vidéo sur YouTube. Cette chaîne génère régulièrement des vidéos qui deviennent virales : elles ne génèrent pas de revenus immédiats, mais elles renforcent notre marque », explique l’éditeur.
Depuis l’année dernière, Motorrijder travaille également sur une série de podcasts (gratuits). « Ceux-ci couvrent divers sujets et nous mettent en contact avec un nombre potentiel de parties intéressées que nous n’avons pas atteintes avec le magazine et qui recherchent ensuite notre contenu payant. Chaque épisode touche en moyenne 1 300 auditeurs et 75 % d’entre eux les écoutent d’une seule traite. » Pas mal quand on sait que chaque épisode dure environ 40 minutes. « Les podcasts totalement rentables n’existent pas encore », affirme Buyze. « C’est comme YouTube : c’est une forme de contenu pour laquelle il faut trouver des partenaires pour la rendre viable. » Car, bien entendu, le marché des lecteurs n’est pas le seul pilier du modèle de revenus. « Notre principal revenu provient toujours de la publicité, proposée par notre régie interne », confirme Buyze.
« Et nous organisons régulièrement des événements. Sur tous ces canaux, je travaille sur la relation privilégiée et la satisfaction du client. C’est pourquoi je maintiens délibérément les prix des abonnements à un niveau bas et je continue à renvoyer gratuitement les numéros manquants si quelqu’un ne les a pas reçus. C’est assez perturbant, car cela représente une grande partie des revenus. Mais nous sommes un produit de loisir et nous devons faire rêver les gens avec nos magazines : les attentes en matière de qualité sont très élevées et nous devons continuer à les satisfaire. Les magazines sont et restent un produit qui donne du plaisir aux gens et qu’ils attendent avec impatience. C’est toujours le cas aujourd’hui : s’il y a du retard dans la distribution du magazine, je le sais immédiatement. Tant que nous parviendrons à maintenir cet état d’esprit, il y aura de la place pour nous. »